La réflexion relative à l’apport du lien hypertexte ou hypermédia dans les modes de lecture et d’écriture est depuis bien longtemps en cours. Quelques billets récents ici ou là ont réactivé chez moi le souvenir d’une étude que j’ai réalisée en 2007…où l’on voit que des îlots de signification autonomes (R.Barthes) prennent du sens (ou un autre sens) dès lors qu’ils sont reliés en réseau. La nature et l’organisation des liens, l’ergonomie donc, prennent alors toute leur importance. Si les critères ergonomiques sont généralement appliqués dans le but de faciliter et d’orienter l’accès à une information classée et hiérarchisée, a priori le contraire du désordre, la réalisation de Philippe de Jonckheere et Julien Kirch, désordre.net, montre qu’ergonomie et désordre ne sont pas antinomiques, bien au contraire.
On a là un modèle d’écriture hypermédia qui est aussi une sorte de leçon d’ergonomie en creux :
« …et tout s’enchevêtra dans un désordre impeccable », selon Philippe de Jonckheere
hétérogénéité des contenus, absence de charte graphique comme de charte des médias, multiplication des pages repère d’organisation différente, liens culs de sac, fausses pistes, absence de balisage du parcours et d’outils de repérage, liens externes non différenciés, fakes, script aléatoires, empilement de pop up, absence de contrôle de l’internaute sur le contenu affiché, souvent imprévisible, page d’accueil énigmatique (modifiée assez récemment)…,bref, la structure du site tourne volontairement le dos aux critères ergonomiques et d’accessibilité habituellement recherchés.
Les auteurs s’appliquent à organiser un savant désordre, une apparence de hasard, qui conduit le visiteur à déambuler dans leur univers de façon ludique. Il s’agit de se fixer par avance des contraintes, ici une ergonomie du désordre, pour relier plus de 30 000 fichiers, dans le but de mieux exercer sa liberté – on retrouve là une démarche de type Oulipo connue dans la création littéraire (voir entre autres Queneau ou Pérec).
La structure de desordre.net répond pour partie aux principes de l’un des modèles du réseau auquel il est souvent fait référence, celui du rhizome de Deleuze : sans hiérarchisation, sans commencement ni fin, en cela antigénéalogique, sans centre, composé de réseaux mouvants, on peut y rentrer par n’importe quel point relié à un grand nombre d’autres, y compris externes, de nature souvent différente. Les limites du site sont peu perceptibles. La profondeur spatio-temporelle est recherchée notamment par l’utilisation de la superposition de pop-ups et la juxtaposition de lieux et de temps différents dans des iframes.
Du point de vue de la lecture, chaque fragment, texte, photo, vidéo ou son, peut être considéré comme autonome. Il n’est ni début, ni fin, ni suite. Caractéristiques de l’hypermédia, les parcours de lecture permettent d’échapper à toute linéarité en établissant des relations de sens et de voisinage entre des documents qui n’ont pas de liens propres. L’information produite s’élabore en temps réel et résulte d’un parcours individuel non reproductible compte tenu des scripts aléatoires. Le lecteur construit et déconstruit l’information en choisissant sa direction à chaque carrefour. Si l’on parle de collectif, on voit plutôt là que l’hypertexte est l’ennemi du partage (dixit Castells). Ce que partagent les lecteurs, c’est un espace mental dans lequel ils évoluent sans pour autant en avoir la même expérience .
Alors qu’est-ce qui assure la cohérence du travail et lui donne un sens ?
C’est l’ appartenance des contenus à un même univers personnel ET leur organisation en réseau mouvant. Cet univers est soutenu par la transparence et la subjectivité de l’auteur et la thématique transversale qui relie les contenus autour de la mémoire, du quotidien et de l’intime. Si le réseau autorise ubiquité, fragmentation, simultanéité dans un processus continu de territorialisation-déterritorialisation, l’architecture de ce site permet l’exploration de ces possibilités dans une liaison intime entre le fond et la forme. Le réseau utilisé comme matière est ici au moins aussi important que le contenu lui-même ; « medium is message »… Un site à l’image de la pensée, des dédales de la vie et des réseaux qui s’entrecroisent, dit De Jonckheere ; et aussi à l’image de la mémoire qui fonctionne par associations, discontinuité et multiplicité.
Certes le parcours est chaotique, souvent déroutant. Vous aurez toutes les raisons de vous perdre, d’être agacé et même de renoncer ; mais au final, un travail attachant pour qui acceptera de s’immerger longuement et de se perdre dans cet univers où les fonctions émotives et phatiques sont privilégiées. La qualité générale des documents donne une réelle plus-value à cette création, laquelle a d’ailleurs reçu le prix de la société des gens de lettres en 2002. Si ce type de structure convient à un travail de nature artistique, je persiste à penser que ce désordre qui s’inscrit si bien dans notre fonctionnement mental, pourrait, dans certaines conditions, très bien être adapté à des formes de teasing (luxe, tourisme…). Photos, contes, extraits de concerts, compte-rendus de visites, personnages locaux, jeux, bloc-notes, vidéos…tout cela au « hasard » des clics,…tout cela ne prend bien sûr du sens que par la mise en réseau, mais c’est cela qui raconte une histoire qui s’inscrit dans l’émotion et la sensibilité du visiteur.
NB : On pourra lire mon expertise complète de 2007 ici (qques changements dans le site depuis), et la réaction de PdJ là
L’emploi du terme « ergonomie » est un peu gênant car à mon sens un peu employé à mauvais escient : dans ce contexte, vous semblez en réalité plutôt parler d’architecture, d’agencement de l’information plutôt que d’ergonomie. Au final l’ergonomie consiste à adapter le travail à l’être humain et le produit à l’utilisateur, à la rigueur on peut dire qu’un produit/système est ergonomique pour signifier qu’il est adapté à son/ses utilisateurs, mais dans l’article le mot me semble peu adapté justement 😉
Sinon, le fond est vraiment très intéressant, ça ouvre des réflexions et des perspectives que je n’avais pas envisagées.
Ce commentaire a été repris sur le blog de l’agence groupeReflect-Emakina Group (lieu initial sur lequel j’ai publié ce billet)
Bonjour Robin,
Si l’on s’en tient aux 8 grands items des grilles de Bastien/Scapin ou à celle plus récente de Scapin et Bach (ancien universitaire de Metz et mon prof. à Toulouse), on n’est effectivement pas là dans l’ergonomie au sens strict mais, dans ce site tout particulièrement que l’on peut voir comme de l’art numérique, une ergonomie adaptée aux buts (organisation des interfaces, repérage et aide à la navigation, feedback, etc…) entretient des liens incestueux avec l’architecture de l’information pour offrir une expérience utilisateur originale. J’avoue avoir succombé à la tentation de ne pas essayer de tout séparer… 😉
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Très intéressant, d’ailleurs cela débouche sur des réflexions pratico pratiques… ou pas :
> quel est le sens d’un archivage/classement par date sur des contenus intemporels ?
> est-ce que sur ce genre de site nous sommes dans une démarche de design des contenus ou de contenu du Design ?
> Il est très intéressant de voir naître des initiatives de ce genre, car quand « l’art contemporain » s’empare d’un sujet, n’est-ce pas le signe que ce sujet est définitivement intégré dans notre société et dans notre mode de vie ? Et n’est-ce pas afin de lui donner un second souffle ?
Pour la réflexion sur l’ergonomie, on peut aisément partir du principe que tout élément concours à l’ergonomie à partir du moment où il permet de mettre en valeur l’information à son « consommateur ». Le Design de l’information en est une forme, et c’est justement ici le coeur de la question.
Cet espèce de « bordel » arrangé laisse un peu penser à certains modes de rangements anarchiques où seuls le titulaire du rangement retrouve ses petits (l’ordre des uns est le désordre des autres)… du coup je serai très intéressé d’avoir une analyse eye tracking sur ce genre de concept et surtout d’avoir des conclusion quand à l’expérience utilisateur.
Plus que le luxe, je pense que le domaine de l’art peut être très intéressé par cette ergonomie du désordre en tout cas cela peut effectivement représenter une démarche artistique et inviter l’internaute à découvrir et à re-découvrir !
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groupeReflect
Le lien et l’écriture hypermédia dans l’ergonomie du désordre http://goo.gl/fb/250kW #artsociétéettic #usages
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lisejanody
Hmm…en tout cas, pas conventionnel. RT @groupeReflect Le lien et l’écriture hypermédia dans l’ergonomie du désordre http://goo.gl/fb/250kW
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marion_lec
Le lien et l’écriture hypermédia dans l’ergonomie du désordre http://bit.ly/9YHOXA
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PierreTran
Le lien et l’écriture hypermédia dans l’ergonomie du désordre http://bit.ly/9YHOXA via @marion_lec #societe
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fmeichel
RT @PierreTran: Le lien et l’écriture hypermédia dans l’ergonomie du désordre http://bit.ly/9YHOXA via @marion_lec #societe
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community_mngr
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psst_
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Apprendre2pt0
veille Le lien et l’écriture hypermédia dans l’ergonomie du désordre « Le blog groupe Reflect http://bit.ly/bgCXz5
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RobinAzema
Le lien et l’écriture hypermédia dans l’ergonomie du désordre http://t.co/rnCMN27 @groupereflect terme « ergonomie » inadapté mais intéressant
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r4f
#veille Le lien et l’écriture hypermédia dans l’ergonomie du désordre « Le blog groupe Reflect: Tags: reseau, hype… http://bit.ly/agrwLu
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DelphineMarc
Le lien et l’écriture hypermédia dans l’ergonomie du désordre http://t.co/59RAdtC
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SophieGirardeau
RT @DelphineMarc Le lien et l’écriture hypermédia dans l’ergonomie du désordre http://t.co/59RAdtC
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