iPod, iPhone, iPad, iGod, Steve Jobs réenchanteur du monde ?

the economist 01/2010
the economist 01/2010

Il y a quelques semaines, attendu comme un messie par ses fidèles, le gourou Steve Jobs, l’homme qui change nos vies, présentait l’iPad, dernier né d’Apple, au cours d’une grand-messe où une assemblée communiait dans l’attente de la révélation de la toute nouvelle création dont l’avènement marquerait un pas de plus vers l’intégration numérique ; communion partagée par la quasi-totalité des médias qui ont assuré ainsi une promotion planétaire gratuite à l’iPad. Il faut dire que le destin des précédentes créations d’Apple mérite que l’on porte attention à chaque nouveauté de la firme.

En se plaçant du côté des usages et des usagers, tant du point de vue de l’ergonomie des interfaces que des services potentiels, Apple, personnifié par Steve Jobs, a fortement mobilisé et affecté l’expérience des utilisateurs.
Cependant, le comportement de certains fidèles, les couvertures de magazines, textes ou iconographies à résonance biblique (ici ou ), et le champ sémantique du religieux relevé dans nombre de commentaires interpellent…

En 2007 déjà, le NY Magazine titrait iGod. Comment tenter une explication ?

Une piste est offerte par un texte du médiéviste Charles Bourget que je me suis souvenue avoir exploité pour une analyse de tendances lors d’un séminaire Arts Appliqués. Ce texte, « la tension topologique du virtuel », traite du rapport à l’espace dans une approche psychanalytique qui est sans doute en jeu dans le phénomène. Ce que montre Bourget, c’est que le cyberespace depuis le web jusqu’à la réalité virtuelle, introduit une tension topologique. Pour résumer, on peut considérer deux types de rapport à l’espace pris au sens large : les modèles à prépondérance euclidienne qui mettent l’environnement à distance et cherchent à le quantifier et les modèles à prédominance topologique, qualitative et intuitive ; schématiquement, la mesure, le matérialisme et la science face à l’espace intérieur, la spiritualité et l’intuitivité.

Chaque individu dans chaque société et chaque époque élabore un mix de ces deux approches qui le caractérise. Cette double relation avec le réel crée une tension que nous vivons tous entre les deux modèles. Dans la société occidentale moderne, matérialiste et rationnelle, le modèle euclidien prédomine. On sait comment Marcel Gauchet a repris le thème du déclin de la relation topologique au monde, incluant le religieux, au profit de la relation euclidienne depuis le primitif jusqu’à aujourd’hui (le désenchantement du monde). Or la dimension intuitive du rapport au réel, de type sensoriel et émotif, demeure une nécessité pour l’équilibre du sujet. En ouvrant de nouvelles possibilités d’accès à cette dimension dans notre monde intérieur, le cyberespace offrirait une alternative de réenchantement du monde.

Si l’on accepte cette hypothèse de Bourget, on peut mieux comprendre la ferveur provoquée par les promesses d’accès à cet espace que représente Apple personnifié par Steve Jobs. Plus ces appareils nous donnent de possibilités d’accès aux mondes virtuels, plus ils proposent d’augmenter le réel, plus la convergence numérique et plus leur ergonomie et leur autonomisation leur confère un rôle de prothèse globale, multitâche et quasi-permanente, plus leur annexion à l’espace mental devient facile…et peut-être même addictive. Le cyberespace, ubiquitaire, utopique et uchronique, autorise de fait une nouvelle perception et de nouvelles relations à l’espace. L’expérience du temps réel et de l’interaction jusqu’à l’immersion développe une nouvelle sensorialité et fait la part belle à l’émotion. Avec l’accès au web d’abord, puis aux applications de réalité augmentée qui fleurissent sur nos mobiles, et bientôt à l’immersion dans des réalités virtuelles, nous disposons de nouveaux moyens de tisser avec notre environnement des rapports d’imbrication des différents niveaux de réalité et d’y introduire des rapports de type poétique, a-scientifiques et a-euclidiens, à côté des rapports simplement utilitaires. Cette évolution ouvre la porte à un renforcement d’une conception topologique du monde et à un nouvel équilibre avec l’approche euclidienne. Et c’est en cela qu’il nous conduirait vers un possible réenchantement du monde.

Dans un moment où les pressions topologiques sont illustrées par la pression des phénomènes religieux, Steve jobs serait celui qui offre une promesse alternative d’accès à un monde réenchanté…ce qui pourrait éclairer la sémantique relevée dans les médias à son propos. Pour plus, le texte complet de Charles Bourget est toujours accessible.

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